
En début d’année 2025, Evelina et Guillaume, un couple parisien, se préparaient à devenir parents pour la première fois. La grossesse se déroulait sans accroc : le bébé avait un cœur solide, grandissait bien, bougeait souvent. Le jour de l’échographie du deuxième trimestre, ils étaient surtout impatients de connaître le sexe du bébé.
C’était une fille. Le sage-femme a annoncé la nouvelle en début de consultation, installant une atmosphère joyeuse dans la pièce. Mais quelques minutes plus tard, le ton a changé. « C’est inhabituel », a-t-il dit. Quelque chose dans la colonne vertébrale du bébé semblait anormal. Evelina et Guillaume sont repartis avec un document indiquant : “Suspicion de spina bifida ; examens complémentaires requis.”
Après plusieurs rendez-vous et examens, le diagnostic est tombé : leur fille avait une spina bifida — une condition grave dont ils n’avaient jamais entendu parler auparavant.
Plus fréquent qu’on ne le pense
Ils sont loin d’être un cas isolé. En France, la spina bifida touche près d’une grossesse sur 1 000. Dans le monde, environ 51 000 bébés naissent chaque année avec cette anomalie. Elle survient très tôt au cours de la grossesse, parfois avant même que la femme sache qu’elle est enceinte.
La spina bifida touche des milliers de nouveau-nés dans le monde
Prévalence pour 10 000 naissances dans une sélection de pays où la donnée récente est disponible
Source: ICBDSR Report, 2024. Pour les pays où plusieurs valeurs sont disponibles, la plus élevée est indiquée.
Comment cela se produit-il ? Environ trois à quatre semaines après la conception, une structure appelée tube neural est censée se former — comme une fermeture éclair qui se referme le long du dos du bébé. Ce tube deviendra ensuite le cerveau et la moelle épinière. Mais dans certains cas, la fermeture ne se fait pas complètement, ce qui provoque une anomalie appelée défaut de fermeture du tube neural (DFTN). La spina bifida est un type de défaut qui se touve à l’extrémité inférieure du tube, laissant une partie de la colonne vertébrale exposée.
Colonne vertébrale normale

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Il existe différents types de spina bifida, généralement classés en deux catégories : fermée ou ouverte. La forme la plus bénigne, la spina bifida occulta, est dissimulée sous la peau. De nombreuses personnes vivent avec sans jamais le savoir : elle ne cause généralement aucun symptôme et est souvent découverte par hasard.
Mais dans environ 90 % des cas diagnostiqués, le défaut est dit ouvert — une partie de la moelle épinière ou de ses membranes protectrices sort à travers une ouverture dans la colonne. Dans le cas du méningocèle, un sac de liquide dépasse à travers la colonne. Dans la forme la plus grave, le myéloméningocèle, des nerfs et du tissu spinal sont exposés dans un sac visible dans le dos du bébé. C’est ce type que portait la fille d’Evelina et Guillaume.
Spina bifida fermée
Petit écart dans la colonne, sans sac ni protrusion
Spina bifida ouverte
Sac de liquide céphalo-rachidien sortant par le dos
Sac contenant liquide, moelle épinière et nerfs exposés
Spina bifida ouverte
Spina bifida fermée
Note : D’autres formes plus rares recouvertes de peau existent, mais ne sont pas représentées ici.
Les conséquences silencieuses
Avez-vous déjà entendu parler de cette anomalie ? Probablement pas. Dans les pays où le dépistage prénatal est courant, les défauts de fermeture du tube neural sont généralement détectés à mi-chemin de la grossesse. À partir de là, les parents doivent faire un choix : poursuivre la grossesse ou l’interrompre, si la loi le permet. Beaucoup choisissent la seconde option. Par conséquent, la plupart des bébés diagnostiqués avec une spina bifida ne naissent jamais.
L’interruption est une issue fréquente après diagnostic
Prévalence médiane de l'interruption en Europe après détection prénatale de spina bifida
Source: European Platform on Rare Diseases Registration, 2023. Intervalle de confiance se situe entre 55 % et 71 %.
C’est le choix qu’ont fait Evelina et Guillaume, après avoir consulté les meilleurs chirurgiens fœtaux et pédiatriques de France. Dans le cas de leur fille, l’ouverture se situait dans la région sacrée — ce qui garantissait des troubles urinaires et intestinaux à vie, et une capacité de marche incertaine. Le 18 juin 2025, à 26 semaines de grossesse, ils ont décidé de la laisser partir. Une décision extrêmement difficile, comme pour tant d’autres familles dans cette situation.
Effets de la méningocèle


Effets de la myéloméningocèle

permanentes

des jambes



y compris chirurgies
L’histoire d’Evelina et Guillaume reflète un des chemins possibles. Pour les familles qui poursuivent la grossesse, les données disponibles — bien que limitées — dressent un tableau de ce que peut impliquer une spina bifida sévère. Aux États-Unis, environ 6 enfants sur 10 atteints de myéloméningocèle ne peuvent pas marcher seuls. Près de 70 % vivent avec des troubles chroniques de la vessie et des intestins. Beaucoup subissent plusieurs interventions chirurgicales et ont besoin d’un suivi médical à vie. On observe des effets similaires en Europe et ailleurs.
Les personnes concernées font aussi face à des challenges émotionnels et sociaux. Enfance marquée par une faible estime de soi, isolement, difficultés relationnelles. À l’âge adulte, accéder à une vie autonome reste souvent un vrai défi.
La spina bifida touche plusieurs aspects du quotidien
Déficiences chez les personnes vivant avec la spina bifida ouverte
Source: CDC Findings from the National Spina Bifida Patient Registry, 2022 (8 000 à 11 000 participants)
Il va sans dire que la spina bifida n’est pas un diagnostic que des futurs parents souhaitent recevoir. Les décisions qui suivent sont profondément personnelles et douloureuses. Certaines familles choisissent de poursuivre la grossesse, en sachant qu’elle entraînera probablement une vie faite d’interventions chirurgicales, de handicaps et d’incertitudes. D’autres optent pour une interruption. Comme les défauts du tube neural sont généralement détectés autour de la mi-grossesse, cela implique un accouchement — une expérience qui peut laisser des marques émotionnelles durables. Alors, peut-on réduire le risque que cette anomalie ne survienne ?
Une condition que l’on peut (souvent) prévenir
Les causes de la spina bifida sont variées : prédispositions génétiques, diabète maternel, obésité, traitements médicaux… Mais un facteur est bien documenté et concerne tout le monde : l’acide folique (vitamine B9).
Ce nutriment est crucial pour la fermeture du tube neural. Il intervient dans la division cellulaire et la synthèse de l’ADN — deux processus essentiels dans les premières semaines du développement embryonnaire. Selon plusieurs études, pris avant la conception et pendant le 1er trimestre de grossesse, il peut réduire jusqu’à 70% des cas.
Depuis que cette recherche a été rendue publique, les autorités de santé ont commencé à recommander la prise de suppléments d'acide folique à toutes les femmes en âge de procréer. De nombreux pays ont réagi également en enrichissant les aliments de base en acide folique. Aux États-Unis et au Canada, par exemple, la vitamine B9 est ajoutée à la farine et aux céréales depuis la fin des années 1990.
Moins de la moitié des pays fortifient leurs céréales en acide folique
Pays qui enrichissent le blé, riz ou maïs en vitamine B9
Source: Food Fortification Initiative, 2023
Cette fortification a-t-elle eu un effet ? Absolument. Une analyse de 75 pays montre que ceux ayant une fortification obligatoire ont environ deux fois moins de défaut de fermeture de tube neural. Ce constat vaut autant pour les pays riches que pour ceux à revenu moyen ou faible. Le Costa Rica a mené un programme de surveillance de l'enrichissement des aliments en acide folique entre 2010 et 2020, qui a confirmé une diminution de 53 % de la prévalence des DFTN.
La fortification obligatoire fonctionne
Prévalence des DFTN pour 10 000 naissances avec et sans fortification
Source: Global heterogeneity in folic acid fortification policies and implications for prevention of neural tube defects and stroke, 2023
Bien sûr, la supplémentation en acide folique ne garantit rien. Evelina prenait des compléments avant sa grossesse, et pourtant sa fille a été touchée. Mais la science est claire : la fortification alimentaire réduit considérablement les risques. Malgré cela, la plupart des pays européens, y compris la France, n’ont toujours pas adopté cette mesure.

Si la fortification avait été mise en place en Europe dès 1998 — comme aux États-Unis — environ 19 500 cas auraient pu être évités d’ici 2021.
Source: Eurocat
Ce que vous pouvez faire
Jusqu’à ce que nous en sachions plus, l’acide folique reste notre meilleure arme de prévention. Voici ce que chacun peut faire pour combler cet écart aujourd’hui.

Si vous prévoyez une grossesse, demandez une ordonnance de l'acide folique à votre gynécologue ou médecin généraliste.

Si vous êtes professionnel de santé, sensibilisez vos patients à l’importance de la supplémentation.

Et si vous travaillez en santé publique, soutenez les politiques de fortification alimentaire en vitamine B9.
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Votre bébé a été diagnostiqué avec une spina bifida ? Partagez votre histoire. Nous la publierons sur cette page pour sensibiliser d’autres familles.
Approche
Ce récit a pour objectif de sensibiliser à la spina bifida. Il ne s’agit pas d’un article scientifique, et certains détails ont été omis — comme des classifications plus poussées de la spina bifida ou des considérations sur le métabolisme de l’acide folique. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter les études scientifiques citées tout au long de l’article.
Remerciements
Evelina et Guillaume expriment leur profonde gratitude aux équipes de médecine fœtale et d’obstétrique de l’hôpital Armand-Trousseau, qui les ont accompagnés avec bienveillance et professionnalisme tout au long de cette épreuve.